Actualité aéronautique

Fatalité et mauvais choix - Partie 3 (et fin)

Article publié le 7 janvier 2010 par Patrick Layrisse, alias eolien777

Troisième et dernier épisode des aventures de Patrick, qui convoie un DC-3 bien mal en point, d'Afrique à Paris. On le retrouve au dessus de l'Atlas en bien mauvaise posture.

Résumé des deux premiers épisodes:

Patrick doit convoyer un vieux DC-3 de Mauritanie à Paris à la demande d'un ami. Il a trois jours pour le faire. Après quelques râtés au départ, l'avion part enfin sans encombre majeur. En route, n'étant pas totalement rassuré sur le niveau en carburant, le pilote hésite entre un atterrissage aux Canaries, proches, et Agadir, plus loin. Patrick choisit finalement Agadir, mais il y a du brouillard et doit se dérouter sur Marrakech. Pour y arriver, il doit passer au dessus de l'Atlas par une route dangereuse et basse. Le vol n'est pas de tout repos et les personnes présentes à bord ne sont pas rassurées.

Fatalité et mauvais choix - Partie 1
Fatalité et mauvais choix - Partie 2

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Partie 3

J’évitai un obstacle. Puis un autre. Ils surgissaient de la nuit, masses sombre sans relief dans un environnement de masses sombres. Ils s’effaçaient sous l’aile et je ne savais pas si j’étais passé à un mètre ou à dix. Après chaque évitement j’essayais de revenir vers la route initiale. Nous frôlions dans le noir les parois de la faille, rebondissant d’un mur à l’autre. Je n’avais pas peur, trop absorbé par la tâche, maintenir l’avion en ligne de vol dans cette gorge trop étroite semé d’obstacles effrayants, tendu vers l’avant, vers la sortie de ce défilé infernal qui était quelque part devant moi. Je faisais corps avec cet avion, et c’est ensemble que nous évitions les pièges de roches, les parois noires et luisantes, les arrondis neigeux que je voyais surgir soudainement en face de moi, et qui, alors que je les croyais plus bas que nous, traîtreusement, à la dernière seconde, montaient vers le nez de mon avion, m’obligeant à une manœuvre d’évitement tirée par les cheveux. Dix fois nous avons évité la collision in extremis ...
Puis soudain, ce fut la plaine. Nous sortîmes de l’Atlas d’un seul coup. L’instant d’avant je me battais avec la roche, l’instant d’après je virais à droite dans une plaine immense doucement baignée par la lune. Au fond, déjà, on voyait les lumières de Marrakech. Là-haut, mes amis de la Royal Air Maroc accueillirent la nouvelle avec beaucoup de satisfaction. Ils m’avaient donné la clef pour échapper au piège mortel dans lequel nous étions enfermés.

Nous approchions à présent de Marrakech. Je savais qu’il nous restait très peu d’essence, et je me disais que si le moteur droit s’arrêtait en panne sèche, il faudrait se poser tout droit dans le djebel, à la lumière des phares...
La piste illuminée était à présent devant l’avion, nous arrivions en finale, je sortis le train... et les deux voyants se mirent au rouge : train non verrouillé ! Instantanément, par pur réflexe, je stoppai la descente et engageai un virage par la gauche.
“ Appelle la tour, demandai-je à Guy, dis leur qu’on a un problème de train, qu’on fait un tour par la gauche et qu’ensuite on se représente pour se poser ! “
Pendant que Guy s’exécutait, je rentrai le train. En surveillant la séquence je notai que tout se déroulait normalement et il me semblait d’ailleurs qu’il en avait été de même lors de la sortie. Ayant remis toutes les manettes et leviers au neutre j’expliquai à Guy mes intentions :
“ Je vais ressortir le train... mais je suspecte une défaillance des switches. Quoiqu’il en soit il faut qu’on se pose... on peut tomber en panne sèche d’un instant à l’autre. Tu demanderas les pompiers pour l’atterrissage ! Saloperie d’avion ! “
Le copain de la Royal Air Maroc, toujours à l’écoute fit une réflexion ironique sur nos malheurs, mais j’ai oublié ce qu’il a exactement dit.

Sur DC-3, la sortie et la rentrée du train est une manœuvre plus complexe que sur les avions contemporains. S’il suffit aujourd’hui de lever ou abaisser une petite manette, il fallait d’abord déverrouiller un levier hydraulique, placé sur le plancher sur le côté droit du siège du Captain, avant de le lever. Puis on déverrouillait le levier du train, situé à côté, que l’on abaissait. Enfin on positionnait le levier hydraulique pour alimenter le circuit du train qui alors sortait et on suivait sur deux gros manomètres les variations et l’établissement des pressions hydrauliques. Lorsque tout était stabilisé, on replaçait les leviers au neutre, et on les verrouillait. Normalement les deux voyants verts confirmaient la bonne marche des opérations.

Douglas DC-3

Durant le virage que j’avais engagé, je sortis le train, surveillant attentivement les manomètres. Les pressions hydrauliques oscillèrent et battirent comme à l’accoutumée, je remis les leviers au neutre, mais les deux voyants restèrent allumés en rouge. Il fallait se poser, coûte que coûte ! Je pressentais qu’il ne restait plus de carburant et cela aurait été trop bête de se crasher en panne sèche à quelques centaines de mètres de la piste. Il valait mieux risquer un atterrissage sur le ventre ou sur un train partiellement sorti.
Je demandais à Guy d’annoncer la nouvelle au contrôle qui nous autorisa à l’atterrissage, les pompiers alertés étant déjà en place.

L’atterrissage se fit normalement, il ne s’agissait que d’un dysfonctionnement des switches.
Le lendemain matin nous fîmes deux constatations.
La première fut qu’il restait un verre à dent d’essence dans le réservoir avant gauche... et plus rien sur le droit.
La seconde, qu’il n’y avait aucun problème d’huile sur le moteur gauche. Ce n’était qu’un mauvais contact du switch de pression d’huile. Nous aurions pu utiliser ce moteur normalement. D’aucuns trouveront probablement à redire sur mes choix... ils n’auront peut-être pas complètement tort.

Toujours est-il que nous étions bien vivant à Marrakech. Le problème des switches, ceux des trains comme celui du moteur gauche, fut traité dans la matinée, mais on ne pouvait rien faire pour le correcteur altimétrique du carburateur du moteur droit. Bah ! du moment où on savait à quoi s’attendre, la sécurité n’était plus en jeu : ce n’était qu’une question de calcul d’autonomie.

En fin de matinée nous répartîmes pour Toulouse... mais une panne de notre unique radio VHF nous obligea à dérouter sur Oujda. Passage à la verticale de la tour, battement d’ailes, phares allumés, et en retour une fusée blanche, atterrissage et rencontre avec l’équipage de la Royal Air Maroc qui nous avait soutenu et aidé la veille !
Quelle incroyable coïncidence !...

La radio réparée, nous sommes repartis vers Toulouse. Notre DC-3 n’étant pas réglementairement équipé pour le vol IFR, à partir de l’Espagne nous sommes passés en vol à vue.
Par le travers de l’aéroport de Barcelone que l’on voyait sur notre gauche et dont on allait couper l’axe de la piste après l’avoir négocié avec la tour, Guy, qui était allé faire un petit tour derrière revient au cockpit :
“ Tu devrais aller derrière jeter un œil au moteur droit ! Ça fume ! “
Je me levai et quittai le cockpit, m’approchai d’un hublot et observai le moteur droit. J’étais au niveau de l’hélice et je remarquai qu’une tuyauterie qui sortait du régulateur d’hélice et allait vers le moteur était luisante d’huile noire. Je réalisai ensuite avec stupeur que ce que je prenais pour une tuyauterie était en fait un jet d’huile, d’environ un centimètre de diamètre, parfaitement droit, qui sortait sous pression du régulateur et allait arroser le moteur. L’huile prenait feu au contact des cylindres et une épaisse fumée noire se dégageait à l’arrière des capotages. On distinguait à travers la fumée noire des flammèches orange qui virevoltaient.

Nom de dieu, mais ça brûle !

Dès mon retour au cockpit je débranchai le pilote automatique et basculai l’avion sur la gauche. Comme nous croisions à cet instant la piste de Barcelone en vol à vue, nous étions en contact avec la tour et je demandai à Guy de les prévenir de notre situation et de notre atterrissage imminent en urgence.
En approche le propriétaire de l’avion, Mr B. me demanda de couper le moteur droit qui risquait de manquer d’huile et de gripper, mais j’avais peur qu’il n’en resta pas assez pour assurer la mise en drapeau de l’hélice et je refusai. Nous serions posé dans quelques minutes, nous volions en approche à puissance modérée, je pensais qu’il y avait moins de risque à le laisser tourner... que de risquer une mise en drapeau ratée.
Nous nous sommes posés sans problème et une fois au parking des témoins nous rapportèrent qu’en approche notre avion ressemblait à un bombardier de la deuxième guerre mondiale rentrant de mission en tirant un gros nuage de fumée noire...

Moteur de DC-3  Moteur de DC-3

Le moteur était couvert d’huile. On passa beaucoup de temps à le nettoyer, puis on eu la chance de trouver un régulateur, on répara et on repartit pour Le Bourget. J’étais pressé et déjà en retard d’un jour. On avait choisi de passer par Toulouse, mais vers Carcassonne un temps exécrable, pluie et plafond bas nous obligèrent à faire demi tour et à remonter la vallée du Rhône pour aller se poser à Lyon. On refit le plein et ...plein gaz vers Paris.

Mais en plein décollage, la queue haute, l’hélice gauche s’emballa et partit en surrégime : Arrêt décollage. Nous retournâmes au point d’attente. Des essais de régulation se passèrent fort bien... Que s’était-il passé... Mystère.
Nous avons demandé à redécoller et en pleine accélération, rebelote. Nouvel arrêt décollage et nouveaux essais positifs.
A la quatrième tentative, le contrôleur nous demanda si ce que nous faisions était bien raisonnable. Il avait raison. On ne pouvait pas continuer ce petit jeu. Je dis à mes équipiers que nous allions décoller et que si le moteur partait encore en survitesse, j’essaierais de le réguler par la manette du pas de l’hélice, et si le moteur revenait à un régime normal, on poursuivrait le décollage.
Aussitôt dit aussitôt fait, et lorsque le moteur s’emballa, je tirai vers moi la manette et ramenai, au pris d’un sacré décalage manette, le régime aux mêmes valeurs que l’autre moteur. Nous décollâmes et effectuèrent ainsi le retour sur Paris où nous sommes arrivés par une triste journée hivernale.
Nous tombâmes en panne radio à 5 minutes du Bourget ce qui nous obligea à passer verticale de la tour, histoire de prévenir les contrôleurs de notre arrivée.

Douglas DC-3

Le DC-3 enfin garé sur le parking, je poireautai dans la salle d’attente de l’acheteur, Mr B. dont la secrétaire vint m’informer qu’il prétextait que les frais de route avaient dépassé ses prévisions et que de ce fait je ne toucherais pas la prime promise. J’étais fatigué, et pressé de reprendre mon travail... Je demandai à la secrétaire de dire à son patron que si je n’étais pas payé dans la minute, ça allait barder. Mr B. me reçut quelques secondes plus tard, essaya de palabrer mais devant ma détermination il n’insista pas et me remit une enveloppe avec la prime promise.

Quelques mois plus tard j’ai quitté la France pour plusieurs années. Je n’ai jamais revu Guy R.. Il parait qu’il m’en aurait voulu pour toutes ces frayeurs.
Près de trois années plus tard j’ai croisé par hasard à Nouméa un des mécanos de Nouakchott. Il m’a avoué qu’ils avaient été obligés par leur chef de dire que l’avion était en bon état, alors qu’ils savaient dans quelle situation réelle était ce DC-3.
Ils avaient suivi nos pérégrinations ... ce qui n’a pas du être facile car nous ne fîmes aucune des étapes planifiées... pour une raison ou une autre, nous n’avons jamais atteint la destination prévue au décollage.

Je dois reconnaître que plus de trente ans après, j’essaie encore de faire la part des choses, sans trouver la bonne réponse, entre la fatalité, les contraintes et les pressions incontournables, et mes erreurs, mes mauvais choix, mes décisions douteuses...

Une fois de plus, j’avais eu beaucoup, beaucoup de chance...

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