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J'avais 8 ans ...

Article publié le 15 février 2010 par Camille Kilburger alias Barracuda

Aeroweb continue à vous proposer des chroniques. Aujourd'hui, Camille nous parle d'un avion qui a bercé sa jeunesse dans un récit émouvant.

Je devais avoir 8 ans, nous étions à la fin des années 50 en Lorraine, là où l’on produisait de l’acier à un rythme d’enfer sans que la demande soit jamais satisfaite.

D’un naturel rêveur, j’avais toujours le nez en l’air, j’enviais les oiseaux qui pouvaient voler et voir le monde d’en haut. J’aurais bien voulu en tenir un dans mes mains pour voir ses ailes et peut-être comprendre comment il faisait pour voler. J’ai bien essayé d’en attraper, avec frondes et lance-pierres pour concrétiser mon souhait, sans jamais y parvenir...

Là où nous habitions il y avait de grands espaces de champs et de bosquets. Je me suis mis à fabriquer des cerfs-volants. Cette activité a occupé toute une partie de ma prime jeunesse. Nanti de ma petite expérience et de grosses bobines de ficelle de maçon, j’arrivais à maintenir loin et durant des après-midis entiers mes machines volantes tout là-haut, dans le vent.

MS-317 J’observais ainsi le ciel par la force des choses et voyais passer toutes sortes d’avions, surtout militaires à réaction, car outre la base aérienne française de Metz- Frescaty, il y avait de nombreuses bases occupées par les Américains et les Canadiens dans la région. Mais ce qui m’intriguait le plus, c’étaient les avions du petit aérodrome de Thionville-Yutz, distant de dix kilomètres , dont j’apercevais souvent au loin le ballet incessant,  surtout celui de l’un d’entre eux qui remorquait des planeurs.

Tenant d’une main la ficelle de mon cerf-volant, j’ai observé le manège de cet avion des heures entières, alors qu’il venait larguer ses planeurs au-dessus des fumées des usines sidérurgiques. J’attendais avec impatience le battement de ses ailes au moment du largage puis la majestueuse glissade sur l’aile et le plongeon vers l’aérodrome. Je le trouvais beau cet avion, je reconnaissais sa silhouette de loin ainsi que le bruit de son puissant moteur identifiable entre mille.

Que n’aurais-je pas donné pour aller jusqu’à cet aérodrome, pour voir de près mon avion ? Parce qu’avec le temps, il était devenu « mon avion ».

Seulement j’étais un gamin, et aller jusqu’à cet aérodrome était pour moi une chose impossible à réaliser, je n’avais qu’un petit vélo et dix kilomètres c’était le bout du monde, je ne connaissais pas non plus l’itinéraire pour y aller. De surcroît je n’étais jamais sorti de ma cité car mes parents m’interdisaient fermement d’aller sur la « grande route ».

Le temps passait et paradoxalement, plus ce projet me paraissait impossible, plus ma détermination à tenter l’aventure grandissait.

Un beau jour, n’y tenant plus, après avoir vérifié gonflage des roues et bon fonctionnement des freins, j’enfourchai mon vélo bien déterminé à trouver l’aérodrome. Conscient d’enfreindre les recommandations de mes parents, je craignais par avance les foudres de mon père si celui-ci venait à apprendre mon escapade.  

Courageusement je progressais dans la direction voulue, et je dus traverser des villes dont je ne connaissais même pas le nom, puis vint la traversée de Thionville avec ses bus et ses camions. J’étais épuisé…

Si je m’étais arrêté là, l’aventure aurait déjà été grandiose car j’avais dores et déjà découvert plein de choses que je voyais pour la première fois. Mais un panneau de signalisation indiquant « Yutz » me redonna du courage et je traversai la Moselle par le Pont des Alliés. J’étais très fier d’être arrivé si loin, après avoir bravé tant de dangers et vu tant de choses nouvelles. A qui allais-je pouvoir raconter tout çà ? Assurément à personne car même mes petits copains se seraient fait un plaisir par jalousie, de raconter l’aventure à mes parents. Je savais désormais que tout ceci resterait un secret.

Je traversai enfin Yutz et suivis le panneau « Aérodrome ». Lorsque je vis au loin le grand hangar et le manche à air rouge et blanche qui flottait au vent je sus que je touchais au but. Mon excitation était intense car je savais que j’allais peut-être voir mon avion, celui que j’avais tant espéré depuis des mois.

En même temps, je me rendis compte que je n’avais vu aucun avion voler aujourd’hui, le ciel était vide et aucun vrombissement de moteur ne venait me rassurer quant à une quelconque activité sur l’aérodrome. Il me vint alors la crainte d’une grande déception, celle d’avoir fait tout ce chemin pour rien !

Touchant enfin au but à l’arrière du hangar, je rangeai précautionneusement mon vélo, impatient de découvrir cet endroit magique, où probablement les enfants étaient interdits d’accès. Le lieu était silencieux et calme et avec précaution je contournai le hangar.

MS-317 Lorsque je débouchai devant les grandes portes, ce fut le choc. Non je n’étais pas venu pour rien, à quelques mètres sur le sol en herbe, il était là, mon avion, posé fièrement sur son train d’atterrissage, le nez pointé vers le ciel. Il était magnifique, bien plus beau que je ne me l’imaginais, il était grand, il était tout gris, et sur son nez il y avait de grosses mandibules d’où sortait l’hélice. Je sus un peu plus tard que les grosses mandibules, c’était le moteur en étoile!

Je me revois encore là, bouche bée, découvrant cette machine que je trouvais très impressionnante. Je me tenais à distance, n’osant m’approcher car sur le côté de l’avion il y avait une sorte de chariot à roulettes avec un fût d’essence posé dessus et à côté un homme en combinaison tachée d’huile, actionnant avec cadence la manette d’une pompe qui, au travers d’un tuyau remplissait le réservoir. Et là se produisit une péripétie qui est gravée dans ma mémoire comme si cela s’était passé hier. L’homme se rendit compte de ma présence, même si, petit bonhomme, je m’étais fait discret là-bas, au coin du hangar avec mes culottes courtes, mes cheveux au vent et la respiration encore saccadée de ma folle course à vélo.

Il me regarda et pointa vers moi son doigt et prononça ces mots : « eh ! Toi l’ancien, viens un peu ici ! ».

Inutile de dire que je fus tétanisé de peur. Dans ma tête, en une seconde, je me dis qu’il était interdit d’être ici, que cet homme allait me réprimander et que probablement, sans savoir comment, il dirait tout ça à mes parents. Catastrophe ! Dans quelle affaire m’étais-je embarqué ?

Tandis que je m’avançais, pas fier en regardant mes chaussures, celui qui m’avait interpellé me dit :

- eh ! Cela te plairait de pomper l’essence dans l’avion ?

- oh oui M’sieu, m’entendis-je lui répondre avec empressement tant je fus étonné de cette demande.

Tandis que l’homme qui devait être le mécanicien s’éloignait vers le hangar, je me retrouvai seul avec mon avion, en train de pomper de l’essence dans son réservoir, me dandinant de gauche à droite pour accompagner le geste que je voulais le plus élégant possible. Quelle fierté ! Je me sentis tout à coup quelqu’un de très important et j’aurais voulu que tous mes copains puissent me voir, car si je leur racontais, ils ne me croiraient pas. Et tant pis pour mes parents, je pensais qu’ils seraient fiers eux aussi de savoir que j’avais pompé de l’essence dans un avion !

MS-317

Au bout d’un moment, le mécanicien revint vers moi fort opportunément car la fatigue se faisant sentir, le rythme avait sérieusement diminué. Reprenant lui-même la besogne après m’avoir remercié, je me crus autorisé à rester tout près de l’avion et à en faire le tour afin de mieux l’admirer.

J’enregistrais alors tous les détails que je découvrais. Sur la dérive était écrit MS 317, sur le flanc et sous une aile je lisais F-BCNL. Je ne comprenais rien à tout cela mais par la suite je ne devais plus jamais oublier ces lettres qui restèrent gravées dans ma mémoire. J’osai demander au mécanicien comment s’appelait l’avion, et il me répondit : un Morane-Saulnier !

Morane-Saulnier, quel joli nom.     

Et puis il fallut rentrer à  la maison sans perdre de temps, en espérant que personne ne se serait inquiété de mon absence. Promis, je reviendrais…

Bien souvent par la suite, tenant la ficelle de mon cerf-volant, je voyais monter au loin mon Morane-Saulnier MS-317 F-BCNL. J’ai tout gardé pour moi, je n’ai jamais rien dit à personne par peur du ridicule car peu de personnes de mon entourage s’intéressaient aux avions. Par la suite, adolescent, je me suis rendu de nombreuses fois sur cet aérodrome et ce MS-317 y était toujours. J’admirais la passe de largage au sol du câble de remorquage, à pleine puissance du moteur. La ressource brutale sur l’aile et la reprise d’altitude avant la présentation finale pour l’atterrissage, moteur réduit dans le sifflement de l’hélice et des haubans. Alors je voyais mieux le pilote qui pour moi était un dieu, la tête au vent protégée par un casque de cuir et de grosses lunettes à facettes, écharpe blanche flottant à son cou dans le vent de l’hélice. Quand il venait vers le hangar pour refaire le plein - il y avait maintenant une pompe automatique- moteur rugissant, se penchant furieusement de droite et de gauche pour guider sa machine à cause du capot moteur qui l’empêchait de voir devant, je trouvais le pilote et son avion sublimes.

Le temps a passé, j’ai grandi et suis devenu adulte. J’ai toujours conservé la passion des avions sans toutefois pouvoir apprendre à piloter, alors je les ai photographiés. Je suis allé au meeting annuel de La- Ferté- Alais pour la première fois en 2000, j’avais 50 ans. Arrivant de bon matin, en convoi à pied avec la foule des passionnés, j’entendis au bout de la piste un avion qui mettait les gaz pour le décollage. Je crus reconnaître un Morane-Saulnier et lorsque celui-ci s’éleva dans l’air frais du petit matin, je n’en crus pas mes yeux, sur son flanc était inscrit F-BCNL. J’étais bouleversé de retrouver mon avion, cela faisait 42 ans ! Moi qui m’imaginais que depuis tout ce temps il avait fini à la ferraille. J’étais bouleversé et ému et ne revins à la réalité que lorsque je fus bousculé par la foule qui avançait, car moi je m’étais arrêté pour le regarder décoller.   

Je le vois maintenant chaque année dans de nombreux meeting. Je l’ai à nouveau approché de près, c’est maintenant un avion de collection appartenant à l’association Jean-Baptiste Salis. A l’époque, à l’aérodrome de Thionville-Yutz, c’était une bête de somme corvéable à merci pour le remorquage des planeurs, sa carlingue sale, le moteur noir de coulures d’huile, ce qui lui donnait d’ailleurs une allure redoutable. Aujourd’hui bien repeint et bien entretenu, le moteur et l’hélice nickel de propreté, il fait plaisir à voir. Construit en 1945, il vole depuis 65 ans, mais à côté de lui, j’ai toujours 8 ans.

MS-317La dernière année de ma vie professionnelle, j’ai raconté tout cela pour la première fois à un collègue de travail qui lui aussi a la passion de tout ce qui vole.

L’année suivante, lors de mon pot de départ à la retraite, mes collègues m’ont gâté de nombreux cadeaux. Parmi ceux-ci se trouvait un paquet qui était manifestement un cadre format poster. Lorsque j’ai déchiré le papier j’ai découvert un montage photo avec 4 vues du MS-317 F-BCNL, avec au centre la reproduction du sigle MS du constructeur Morane Saunier, et en bas une petite plaque gravée avec ces mots : J’avais 8 ans…

J’ai levé mon regard vers le collègue à qui j’avais raconté un an avant mon histoire, il a levé le pouce comme le font les pilotes, et j’ai pleuré.

Quant à l’aérodrome de Thionville-Yutz, mangé petit à petit par l’extension inexorable de la ville, victime de la législation qui renvoie vers les communes la charge trop onéreuse de leur entretien, il est maintenant fermé depuis le 31 décembre 2009. Sur cet aérodrome, base aérienne militaire jusqu’en 1934, furent affectés Henri Guillaumet de 1922 à 1925 et Jean Mermoz de septembre 1923 à avril 1924, qui devinrent tous deux plus tard des héros de l’Aéropostale.

Lorsque vous verrez dans un meeting aérien le Morane-Saulnier MS-317 immatriculé F-BCNL, regardez le bien, il est magnifique ! 

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