Au départ conçu pour satisfaire les besoins de la compagnie civile allemande Lufthansa, le Fw-200 Condor est un élégant quadrimoteur métallique à long rayon d'action, conçu sous la direction de Wilhelm Bansemir. Il fit son premier vol en 1937, piloté par Kurt Tank, le créateur du futur Fw-190. Il fut rapidement utilisé par l'Allemagne pendant la guerre, en tant qu'avion de reconnaissance maritime à long rayon d'action. Bien que handicapé dans ce rôle par ses origines civiles, et disponible en nombre restreint, il parvint à marquer quelques points dans la bataille pour la maîtrise de l'Atlantique contre les Alliés.
Les premières versions de l'avion, les Fw-200A et Fw-200B, propulsées par deux versions différentes du BMW-132, pouvaient emporter 26 passagers à 1250 et 1500 km respectivement. La Lufthansa utilisa une dizaine d'exemplaires de ces appareils, mais le Condor fut aussi utilisé par la Det Danske Luftfartselskab (DDL, compagnie danoise) qui en acheta deux exemplaires, et la Dai Nippon Kokû KK, compagnie japonaise (5 exemplaires de la version B). En tant qu'avion de ligne, le Fw-200 s'est fait notamment connaître grâce à la liaison Berlin - New York et retour réalisée en 1938 avec un avion spécialement modifié, le Fw-200S-1, vidé de ses passagers et emportant des réservoirs de carburant supplémentaires.
Mais le Condor est plus connu pour la partie militaire de sa carrière. Malgré le peu d'intérêt porté à la mer par la Luftwaffe (de laquelle dépendait tout ce qui volait et était militaire), un Fliegerkorp X avait été créé un peu avant la guerre pour s'occuper des opérations maritimes. Ce corps aérien ne disposait que de quelques Ju-88 et d'un groupe de He-111, et le besoin d'un avion de reconnaissance à long rayon d'action était présent. Le seul quadrimoteur à long rayon d'action alors disponible était le Fw-200, dont le Japon avait déjà commandé en 1939 une version militarisée, le KC-1.
Versions militaires du Condor
La Luftwaffe décide donc de commander une version militarisée du Condor, et crée dans la foulée la 1./KG40, escadrille de lutte aéronavale, à laquelle s'ajouteront mi-1940 les 2./KG40 et 3./KG4 pour former le I./KG40, principal utilisateur de l'avion. Le prototype de cette version est le Fw-200V11: train principal à roues en diabolo pour compenser l'augmentation de charge, râtelier à bombes sous les nacelles des moteurs extérieurs, moteurs BMW-132H-1 de 830 cv, gondole ventrale pour l'observateur, trois mitrailleuses MG-15 en armement défensif (une dans un poste de tir supérieur derrière le cockpit, une dans un autre poste de tir à l'arrière du fuselage, une troisième en pointe arrière de la gondole ventrale), et un canon MG-FF de 20 mm.
Entre le prototype civil (V10) et la version C-1 (équivalente au V11 avec un membre d'équipage, deux mitrailleuses de sabord arrière et deux râteliers externes en plus), le poids en charge passe de 17000 à 20500 kg, dont seulement 29 kg dédiés au renforcement de la structure. Les nouvelles missions de l'avion incluant des vols à basse altitude et des manœuvres assez serrées d'esquive ou d'attaque, le longeron principal du fuselage est soumis à une fatigue hors normes. Cela provoque la perte de la moitié des Condors pendant la première année d'utilisation, par rupture du fuselage au niveau du bord de fuite de l'aile, à l'atterrissage.
Le C-2, qui apparaît en Mars 1941, profite d'un renforcement de la structure qui permet de faire passer la charge utile de 2060 kg (V11) à 5400 kg. Cette version intermédiaire n'est construite qu'à six exemplaires en plus du prototype (V12). Le C-3 dispose de nouveaux moteurs Bramo 232R-2 (1000 cv au niveau de la mer), et le poste de tir supérieur avant est remplacé par une tourelle avec MG-15.
Le Fw-200C-4 est la version la plus construite, avec 103 exemplaires (apparition février 1942). Son armement défensif est renforcé: la tourelle change et embarque une MG-151 de 15 mm; une autre MG-151 est placée à l'arrière de la gondole et le poste de tir arrière est équipé d'une MG-131 (13 mm). Les MG-15 en sabord sont conservées. La version C-5 apportera un armement défensif amélioré et une mise à jour des équipements.
Les deux dernières versions produites sont le C-6 et le C-8 (le C-7, projet d'avion capable de franchir 6000 km, étant resté à l'état de projet). Le Fw-200C-6 est un avion de reconnaissance à long rayon d'action, équipé d'un équipement radio avancé ainsi que d'un radar FFO FuG-216 Neptun (plus tard remplacé par le Lorenz FuG-200 Hohentwiel: navigation et bombardement sans visibilité). La production du Condor fut stoppée en Mars 1944, après que la priorité absolue ait été donnée aux chasseurs au vu de la situation stratégique au dessus du Reich. 273 exemplaires au total ont été produits, dont 263 militaires.
Certaines sous-versions du Condor seront équipées spécialement, notamment avec les missiles air-mer Hs-293A (C-8/U10), un sonar (C-3/U3), ou un radar (C-4/U3). Certaines seront transformées en transport long-courrier (C-3/U9, C-4/U2).
Le Condor dans l'Atlantique
Durant toute l'année 1940, les Condors sont principalement dédiées à des patrouilles de recherche maritime, opérant presque en toute impunité dans le golfe de Gascogne, utilisant les aérodromes français de Bordeaux-Mérignac et Cognac, assez grands pour permettre des décollages à pleine charge. On tentera de les utiliser en mouilleurs de mines au large de l'Angleterre pendant un temps, mais les pertes sont trop importantes (deux avions perdus en douze missions) et ce genre d'opérations est stoppé fin juillet 1940.
Jusqu'à la mi-1940, les opérations rencontrent de plus en plus de succès, partiellement grâce à une coopération accrue avec les U-boot. Pour compenser l'absence de viseur, les équipages descendent à une trentaine de mètres de la surface et se mettent dans l'axe du navire cible avant de larguer toutes leurs bombes. Un record de 84000 tonnes coulées est atteint en février 1941. Les Anglais réagissent, en attaquant l'aérodrome de Bordeaux en Novembre 1940 puis Avril 1941, mais surtout en organisant la défense des convois, avec l'installation de pièces antiaériennes sur les cargos, et la création de CAM-ships (cargos équipés d'une catapulte capable de faire décoller un Hurricane en cas d'attaque). Bientôt, de vrais portes-avions d'escorte les rejoignent.
En Avril 1941, la Luftwaffe commence à entraîner les équipages pour l'attaque à la torpille, mais le projet est abandonné devant le nombre de problèmes soulevés. A partir de Juin 1941 et du lancement de l'opération Barbarossa (invasion de l'URSS), les matériaux stratégiques en provenance du Japon ne peuvent plus transiter par l'URSS et des forceurs de blocus sont chargés de les amener à bon port. Les Condors sont chargés de leur ouvrir la route en les prévenant de la présence de bâtiments ennemis ou de champs de mines, ce qui réduit leur capacité à opérer des reconnaissances lointaines dans l'Atlantique Nord au profit des U-Boot.
Début 1942, une partie des Condors disponibles est envoyée en Norvège pour attaquer les convois Alliés ravitaillant Mourmansk. En décembre 1942, une partie des Condors est affectée au pont aérien ravitaillant Stalingrad, où 8 avions sont perdus. A cette époque, comme une escadrille est à Trondheim et une autre en Sicile, seulement 10 avions sont disponibles à Bordeaux. Les forceurs de blocus ne peuvent plus être convenablemenent couverts et sont laissés à eux-même dans certaines zones; ils subissent de lourdes pertes fin 1942 - début 1943. L'année 1943 voit une augmentation du nombre de Condors disponibles dans l'Atlantique, mais les succès se font rares avec seulement 12 navires coulés pour 82000 tonnes, contre 53 avions perdus en tout. Les premiers missiles Hs-293 seront utilisés en Décembre 1943. L'avion sera opérationnel jusque mi-1944 en France, puis toutes les unités l'utilisant seront démantelées les unes après les autres, pour être transformées sur Ar-234 ou dissoutes.
Un bilan en demi-teinte dans l'Atlantique
Le Condor n'a pas changé la situation dans l'Atlantique, à cause du faible nombre disponible d'avions, du très faible taux de disponibilité (rarement au-dessus de 60%), et de la déplorable coordination entre la Luftwaffe et la Kriegsmarine. Ses succès initiaux tiennent principalement à l'absence de chasse alliée sur ses territoires de chasse. La panique créée chez les Alliés (Churchill l'appelant le "fléau de l'Atlantique) fut disproportionnée au regard des navires coulés (moins d'une centaine, contre presque 2800 pour les U-Boot) et du nombre d'avions engagés.
Source principale: Le Focke-Wulf Fw 200 Condor: Fléau de l'Atlantique, par Rolf Steiner, publié dans l'Aérojournal n°14, Févr.-Mars 2010.