Au départ un avion de patrouille maritime, entré en service dans les années 60, le P-3 fait maintenant partie des forces aériennes d'un peu moins d'une vingtaine de pays dans le monde. C'est un classique avion quadrimoteur à aile basse, équipé de turbopropulseurs et basé sur un avion civil de l'époque (le L-188 Electra). Son rôle s'est assez récemment élargi puisqu'il est depuis le début des années 2000 dédié à la surveillance du champ de bataille, terrestre aussi bien que maritime. Il a notamment joué un rôle dans les opérations en Irak ou en Afghanistan. Plus de 400 appareils sont en service dans 16 pays. Il est destiné à être remplacé aux Etats-Unis par le P-8 Poseidon.
En 1957, l'US Navy lança un appel d'offres pour un avion de patrouille maritime et de lutte anti sous-marine capable de succéder au vieillissant P-2 Neptune, en insistant particulièrement sur le volume disponible dans la cabine, un plus grand diamètre de fuselage et un meilleur rayon d'action. Le tout devant être accompli rapidement et à bas coût... Lockheed gagna cet appel d'offre en 1958 grâce à un concept basé sur le L-188 Electra, un avion de ligne quadrimoteur aile basse, pressurisé, ayant fait son premier vol un an auparavant (à ne pas confondre avec le L-10 Electra, un autre avion Lockheed).
Un Electra fut donc modifié en lui ajoutant une soute d'armements non pressurisée en avant de l'aile, et une poutre MAD (permettant de repérer les modifications du champ magnétique terrestre dues au passage d'un sous-marin) factices. Cet avion (N1883) fit son premier vol le 19 Août 1958, sous immatriculation civile. Par la suite, il fut complètement modifié, tant pour la structure que pour les systèmes, et fit un second premier vol, en tant que YP3V-1 (148276), le 25 Novembre 1959.
Une pré-série de 7 avions fut commandée presque un an après ce vol, et le premier avion vola à son tour le 15 Avril 1961. Dans l'intervalle, l'avion avait été baptisé "Orion". Les tests durèrent jusqu'à ce que, le 16 Juin 1962, le P3V-1 Orion soit déclaré apte au service dans l'US Navy.
Conception
Le P-3 est donc basé sur l'Electra, avec cependant de lourdes modifications. C'est un quadrimoteur équipé de turbopropulseurs, à aile basse cantilever, d'une trentaine de mètres d'envergure. Le fuselage fut notamment raccourci de 88 pouces (2,24 mètres), réduisant notablement le poids, l'espace cabine restant étant toujours largement suffisant pour installer les systèmes de lutte ASM (Anti-Sous-Marine). L'Orion garda, au niveau structure, les ailes, la dérive et le même type de fuselage ; les moteurs Allison T56-A-10W et une partie des systèmes de l'Electra furent aussi conservés.
Une soute à armements fut ajoutée, dans le fuselage avant, prenant tout l'espace entre le bord d'attaque de l'aile et le logement du train avant. Le cockpit fut modifié pour améliorer le champ de vision, et les hublots des passagers furent remplacés par quelques larges fenêtres d'observation bombées. Le MAD, très sensible, fut installé dans une poutre en matériaux composites, tout à l'arrière de l'avion. L'installation de cet équipement impliqua bien entendu des modifications dans la structure du fuselage arrière.
L'aile, un profil NACA modifié, a quelques 6° de dièdre, pour 3° de calage à la racine et 0.5° en bout d'aile. Les commandes de vol sont hydrauliques, les flaps utilisés des Lockheed-Fowler. La construction est principalement en alliages d'aluminium, avec train trycicle (doubles roues) rétractable hydrauliquement vers l'avant. Le système hydraulique, qui comporte trois pompes, gère aussi l'ouverture et la fermeture des portes de la soute à armement. Un réservoir de fuselage (au niveau des ailes) et quatre réservoirs dans les ailes donnent une contenance totale de quelques 9204 US gallons (34837 litres) de carburant JP-5. L'équipage classique comprend une dizaine d'hommes : pilote, copilote, mécanicien naviguant, navigateur/opérateur radio, un opérateur MAD, deux opérateurs pour les bouées, un technicien de vol, un homme chargé des emports, et un "coordinateur tactique".
Le système électrique comprend trois générateurs 60kVA, 400Hz AC, et pouvant alimenter les composants en 24V DC. Le dégivrage se fait électriquement sur la queue de l'appareil, par air chaud sur le bord d'attaque des ailes et électriquement sur les pales d'hélices.
Premières versions
A la suite du changement du système de désignation des avions, le PV3-1 fut renommé P-3A. 157 de ces avions furent construits, et deux améliorations majeures furent introduites petit à petit : ajout d'un APU (Auxiliary Power Unit) à l'équipement standard de l'appareil, et possibilité de posage de mines. Un nouveau système permettant de recevoir et d'analyser des signaux radio et radar fut ajouté, tandis que l'ASR-3 "sniffer", destiné à repérer les fumées d'échappements de sous-marins diesels, fut supprimé.
Une autre évolution fut le changement du système de traitement/affichage des données de bouées accoustiques (AN/AQA-3 et AN/AQA-4 vers AN/AQA-5). Le AN/AQ-5 était conçu spécialement pour le Orion, et la console associée était bien trop imposante pour rentrer dans le Neptune. Cependant, le AN/AQA-5 s'appuyait toujours sur des bouées non directionnelles, et il fallait en lancer trois paires de manière stratégique pour espérer obtenir la position d'un sous-marin.
L'équipage avait en fait le choix entre deux types de bouées. Les premières étaient utilisées par le système "JULIE", qui consistait à larguer les bouées, puis à larguer une petite charge explosive et à repérer un éventuel sous-marin par sa perturbation de l'onde de choc. L'inconvénient était bien entendu que le sous-marin était ainsi averti de la présence d'une menace. Les autres bouées étaient des bouées passives capables d'analyser les émissions sonores d'un sous-marin, permettant à l'opérateur d'identifier le type de cible. Elles étaient utilisées par le système JEZEBEL, s'appuyant sur les AN/AQA-3 à 5.
La version suivante, le P-3B, dotée de nouveaux moteurs Allison T56-A-14, fut mise en production à partir de 1965. Les 63 derniers appareils sur les 144 construits eurent un renforcement de la structure du fuselage, permettant de profiter de cet augmentation de puissance en augmentant la masse maximale, et furent désignés P-3B HW (Heavy Weight). Tous les P-3B étaient compatibles avec le missile air-surface Bullpup.
P-3C : la crème
Le 18 Septembre 1968 vola le prototype de la version P-3C, équipé d'un nouveau système ASM, et d'un système de vision vidéo LLLTV (Low Light Level Television) permettant de repérer visuellement des contacts en surface par mauvais temps ou de nuit. Cette caméra était installée à l'avant du fuselage, sous le nez de l'avion. L'arrivée du AN/AQA-7, permettant d'exploiter des bouées directionnelles, et d'une nouvelle méthode de stockage et lancement des bouées, augmenta l'efficacité de l'avion. Les bouées accoustiques des P-3A et B étaient choisies et lancées par l'équipage, et étaient donc stockées dans la cabine. Elles étaient larguées par des tubes non pressurisés, nécessitant une dépressurisation du fuselage avant lancer. Avec le P-3C, le choix des bouées à lancer se fait par le biais d'un ordinateur, et 48 bouées sont stockées dans 48 lance-bouées spéciaux, situés à l'arrière du fuselage, et inclinés de 55° vers l'arrière pour réduire les interférences avec le vent relatif. Les bouées en sont éjectées grâce à un dispositif pyrotechnique (CAD, Cartridge Actuating Device). 36 autres bouées sont stockées dans la cabine et peuvent être larguées par 3 tubes "taille A" ou 1 tube "taille B" (qui ne nécessite pas dépressurisation). Ces nouvelles ouvertures sont un des principaux moyens de distinguer le P-3C de ses prédécesseurs.
De manière générale, le P-3C était deux fois plus efficace que le P-3B, principalement grâce à l'automatisation avancée des tâches de l'équipage (augmentation considérable du nombre de systèmes électroniques). Une double centrale inertielle (INS) était introduite, avec une nouvelle suite ASM, désignée A-NEW. Toutes les informations récupérées par les divers senseurs était centralisée, et une liaison de données permettait d'en faire profiter d'autres Orion ou des navires présents sur place. Le programme Update I fut lancé avant même l'entrée en service des premiers P-3C et fut mis en place en 1974 ; il incluait un nouveau système de navigation Omega, une balise de détresse en cas de crash, et augmentait plusieurs fois la mémoire disponible de l'ordinateur central (dans laquelle étaient stockés, entre autres, la banque de données sonores des divers sous-marins en service).
En 1978 vint l'Update II, ajoutant un système de référencement des bouées : une série d'antennes permettait de localiser en permanence les bouées lancées auparavant (utile en cas de courant qui les ferait dériver), évitant à l'avion d'avoir à les survoler pour les retrouver. Le système de vision LLLTV fut remplacé par un FLIR (Forward Looking Infrared System), système de vision infrarouge, installé dans une tourelle rétractable dans le nez de l'avion. Vint aussi la capacité de lancer le missile Harpoon, missile air-surface encore en service aujourd'hui. Il y eut aussi un Update II.5, standardisant les pylônes d'aile (sous lesquels on pouvait fixer des Harpoon), mettant à jour certains systèmes (INS, Doppler, VHF, VOR/ILS, TACAN, ESM), permettant la communication avion / sous-marin, par l'intermédiaire de bouées...
L'Update III, dont la production a été ordonnée en 1986 et s'est terminé en 2000 avec 146 appareils, apporte un système de référencement des bouées indépendant ASR-5 (l'ancien, ASR-3, utilisant les ressources de l'ordinateur central ASQ-114) et la possibilité d'écouter jusqu'à 16 bouées en simultané contre 8 auparavant. Un nouveau système d'exploitation et affichage numérique des informations des bouées, le UYS-1, fait son apparition et envoie le AN/AQA-7 (digital) aux oubliettes. Adieu les enregistrements sur rouleaux de papier, la place est faite pour les bandes magnétiques. Le système ESM (Electronic Support Measures, écoute électronique) devient le ALR-66B(V)3, et l'ordinateur central le ASQ-212.
L'update IV fut rejeté par le Congrès en 1992, victime de l'arrêt de la guerre froide.
Modernisations en cours
Au début des années 2000, les Update II et II.5 furent mis au standard Update III, dans le cadre du programme BMUP (Block Modification Update Program), et reçoivent même une électronique un peu plus à jour (18 avions reçoivent le radar APS-137(V)3 prévu pour l'Update IV). En 2004 fut lancé le Critical Obsolescence Program (COP), destiné principalement à augmenter la disponibilité des avions en remplaçant les systèmes obsolètes : HF (ARC-230 remplace ARC-161), Data Link (USQ-130 remplace ACQ-5), pilote automatique (ASW-60 remplace ASW-31)... Le FLIR est remplacé par un système d'imagerie multi-modes (ASX-6 MMIS, Multi-Mode Imaging System), et le système de communication SDI (Secure Digital Intercommunication System) remplace le AIC-22 ICS.
En dehors de ces dénominations barbares, la tendance est à privilégier le combat en zones littorales, et à renforcer les capacités de combat anti-surface (ASUW) de l'avion. C'est le programme AIP (Antisurface warfare Improvement Program). Actuellement, un certain nombre de programmes visent aussi à moderniser l'avionique en général, l'instrumentation dans le cockpit, les systèmes de navigation et de communication. Tous ces programmes permettent au P-3C de rester à jour jusqu'à l'arrivée du successeur, le P-8 Poseidon, dont l'arrivée est à l'heure actuelle (mi-2010) prévue pour commencer en 2013.
La structure des appareils subit des problèmes de fatigue, suivis de près par la Navy grâce au Service Life Assessment Program (SLAP).
Opérations
Le P-3, quasiment dès son entrée en service, a été utilisé durant la crise des missiles de Cuba en 1962. Il participa notamment au blocus maritime de Cuba, grâce à son grand rayon d'action. Deux ans plus tard, le P-3 fut engagé dans l'opération Market Time, destinée à stopper les infiltrations de troupes Nord-Viêtnamiennes vers le Sud. Il y fut utilisé aux côtés de P-2 Neptune et de P-5M Marlin. Pendant la première guerre du Golfe, le P-3 joua un rôle essentiel en coulant plus de la moitié de la centaine de navires irakiens envoyés par le fond, et en dirigeant des frappes sur d'autres navires. Ses nouvelles capacités de surveillance du champ de bataille terrestre l'ont rendu utile dans les opérations en Afghanistan et en Irak (Iraqi Freedom).
L'Orion est aussi utilisé par certains organismes civils, pour de la recherche géologique, du combat anti-incendies ou de la traque d'ouragans, par exemple. De manière à maximiser le temps de vol sur zone, il est possible d'éteindre un, voire deux moteurs, de manière à réduire la consommation de carburant. La durée des missions peut généralement aller jusqu'à 14 heures.
Si l'on prend l'exemple de l'Update II, la mission officielle était principalement de détecter, localiser et détruire les sous-marins et cargos ennemis. Les missions secondaires pouvaient aller de l'escorte de convoi à la pose de mines, en passant par le blocus d'une zone maritime, la surveillance ou la reconnaissance, ceci par tous temps, et éventuellement de nuit. Les dix pylônes d'ailes pouvaient emporter des et larguer des torpilles ou des mines, les troisièmes et quatrièmes pylônes de chaque aile pouvant servir de point d'attache pour des missiles Harpoon. La soute à armements, longue de 154 pouces (3,91 m), était équipée de points d'emports permettant de prendre charges de profondeur, mines ou torpilles.
Une mission ASM (toujours pour un P-3C Update II) pouvait durer une douzaine d'heures, avec rayon d'action de combat de quelques 1585 milles nautiques, avec l'emport de 4 torpilles MK-46 et une bombe nucléaire tactique B-57 ; l'alternative classique étant de remplacer la B-57 par deux ou quatre missiles AGM-84A Harpoon. Pour des missions de dépose de mines, l'emport maximal était d'une dizaine de mines MK-36. Il lui était aussi possible d'embarquer des roquettes sous les pylônes d'aile.
La soute à bombes et les pylônes d'aile permettent d'emporter 12000 lbs (5436 kg) de charge opérationnelle, avec quelques 58180 lbs (26356 kg) de carburant.
Export
L'Orion a eu un certain succès à l'export, et est utilisé par des pays tels que l'Australie, le Canada, la Corée du Sud, le Japon (Kawasaki en a construit sous license), la Nouvelle-Zélande, l'Allemagne, la Norvège, la Grèce, l'Espagne, le Portugal, le Brésil, le Chili, l'Argentine, le Pakistan, voire même la Chine, la Thaïlande, l'Iran...