Actualité aéronautique

Farnborough 2016 : Le F-35, un si mauvais avion ?

Article publié le 13 juillet 2016 par Jean Bellessort

2016 est l’année du F-35 en Europe. Après le feu moteur qui a détruit un F-35A en juin 2014, clouant au sol toute la flotte et par la même occasion empêchant à la dernière minute la venue de 4 exemplaires pour la 1ère tournée européenne de l’avion, les astres semblent enfin alignés pour que Lockheed-Martin et ses (très) nombreux partenaires européens en fassent la promotion sur le vieux continent.

Pourtant, tous les efforts de communication déployés n’arrivent pas à faire taire les nombreuses critiques sur le programme. Trop cher, pas assez fiable, trop de lacunes au combat, chacun y va de son mot. D’un autre côté, et comme pour tous les sujets clivants, les fervents défenseurs sont d’aussi mauvaise foi dans leur défense de leur avion fétiche. Pour essayer d’y voir plus clair, l’équipe d’AeroWeb-fr.net vous propose donc un récapitulatif sur le programme : ses origines, sa conception et son industrialisation et enfin sa livraison et sa mise en service.  

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1. Les origines

Les origines du programme F-35 sont très, presque trop, simples : dans les années 1990, alors que l’URSS est redevenue la Russie, l’USAF, qui a reçu plus de deux mille deux cents F-16 toutes versions confondues, lui cherche une suite. Le F-22, dont le prototype vole déjà, est le premier chasseur dit de "5e génération". Seulement, ses capacités air-sol sont limitées, et il a de toute manière été pensé comme un successeur aux F-15 Eagle dans leurs versions de supériorité aérienne. Par conséquent, une nouvelle fiche programme est établie en 1993, nommée "Joint Strike Fighter". En octobre 2001, alors que débute l’invasion de l’Afghanistan et au lendemain du bouleversement géopolitique majeur que sont les attentats du 11 septembre, le X-35 proposé par Lockheed-Martin remporte la compétition face au X-32 de Boeing.

Mais, comme nous l’avons dit, entre la définition de la fiche programme et la signature de l’acte de lancement, la donne géopolitique a été bouleversée. L’URSS, surtout au tournant du début des années 2000, ne représente plus une menace vitale pour l’Occident. Les programmes d’armement uniques ne sont donc plus la priorité des politiques, et l’on cherche donc à maximiser les rendements. Le JSF ne remplacera donc plus uniquement le F-16, mais également les AV-8 des Marines, les F-18 de première génération de la Navy et des Marines, et même les A-10 de l’USAF. Décision est donc prise de construire 3 versions du F-35 : une version destinée à l’USAF, à décollage conventionnel, appelée F-35A ; une version destinée aux Marines, désignée F-35B dont la différence principale réside dans son décollage et son atterrissage vertical (VSTOL) ; enfin une version destinée à être embarquée sur porte-avions nucléaires, pour l’US Navy, le F-35C, dont le catapultage et l’appontage se font de manière conventionnelle. Au total, ce sont près de deux mille quatre cents exemplaires, toutes versions confondues, qui sont prévues pour équiper les armées américaines. Les chiffres donnent le vertige : quarante milliards de dollars pour la conception, et 323 milliards pour l’achat des 2400 exemplaires, soit en moyenne un peu plus de cent cinquante-et-un millions de dollars par exemplaire, tout compris. L’adage "everything’s bigger in America" est encore une fois bien respecté.

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Sur le papier, nous sommes donc sur un concept très innovant puisque, bien qu’il ait parfois existé des versions embarquées et terrestres de certains avions, il n’a jamais été question dans l’histoire de l’aéronautique de faire autant de missions et de remplacer autant d’avions avec une seule même base commune. Avant même son premier vol, nous constatons donc que nous sommes déjà très loin du postulat de base du F-35, un avion léger au coût abordable dans la droite lignée du F-16. Car si la mise en commun de version de base est une bonne idée pour la maintenance sur le long terme, c’est en revanche un cauchemar industriel à mettre en œuvre. C’est précisément à ce moment que le programme du F-35 va s’enliser.

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2. Conception et Industrialisation

Le défi industriel est colossal. Réaliste, Lockheed-Martin prévient le Pentagone : personne n’a les reins assez solides pour supporter une telle charge industrielle et financière. Malgré les réticences de nombreux responsables militaires et politiques américains à partager avec des pays étrangers des secrets technologiques inhérents à la conception d’un chasseur-bombardier de 5e génération, il n’y a pas d’autre choix que de démarcher les alliés des Etats-Unis.

Le Royaume-Uni, fidèle parmi les fidèles, cherche un remplacement pour ses Tornados et ses Harrier vieillissants. Il est donc le partenaire privilégié du programme, contribuant à hauteur de plus d’un milliard de livres au développement, et exprimant son intérêt pour le programme avant même qu’il ne soit définitivement donné vainqueur.  Le F-35 était au départ un remplaçant du F-16 ? Les premiers démarchés sont, logiquement, les partenaires historiques des américains sur le programme F-16.

En sus du Royaume-Uni, ce sont donc les Pays-Bas et l’Italie qui mettent leur industrie aéronautique de défense au service du F-35 en tant que partenaires de niveau 2. Mais d’autres partenaires rejoignent la danse : la Turquie, la Norvège, le Danemark (tous trois clients historiques du F-16), l’Australie et le Canada, qui, chacun pour des raisons différentes, pensent trouver leur compte dans le programme F-35. Israël enfin, pays qui a une longue tradition de raids réguliers dans les pays qui lui sont hostiles (notamment la Syrie, l’Iran et le Soudan), trouve un intérêt dans cet avion d’attaque au sol furtif, et se porte donc acquéreur, tout en restant en retrait de la phase de conception. Notons au passage que plus de pays européens participent au programme F-35 qu’à l’Eurofighter. La claque est cinglante pour la défense européenne, empêtrée dans les déboires de l’A400M et qui n’a jamais réussi à fédérer autour de son Typhoon.

f35 Le choix du processus industriel est discutable : en effet, pour éviter d’irriter les partenaires bailleurs de fonds sur les retards, Lockheed-Martin met à la production les avions de série alors même que les prototypes n’ont pas été testés sur certains points critiques. L’inévitable se produit : des défauts majeurs sont découverts, nécessitant la re-manufacture quasi complète de plusieurs dizaines d’exemplaires, faisant de fait s’envoler les coûts. En voulant faire des économies de bouts de chandelle, Lockheed-Martin a pris un risque énorme contre toute logique industrielle, qui s’est retourné contre lui.

Les ingénieurs ont beau faire le meilleur travail possible, quel que soit le programme, quel que soit le prototype, la réalité rattrapera toujours le bureau d’études. 

Un deuxième grave problème se présente : Lockheed-Martin n’a pas de tradition de production décentralisée, ayant préféré vendre des licences de production à certains pays pour le F-16 (Turquie, Belgique) plutôt que de partager les risques industriels. En conséquence, la coordination entre les industriels américains et étrangers n’est pas des plus fluides, et c’est un euphémisme. Certains partenaires ne livrent pas les pièces à temps, ou alors pas aux normes, entraînant encore des retards dans la production. Cela touche tous les domaines : motorisation, avionique, jusqu’aux plus petites tuyauteries. 

Un industriel comme Airbus, avec quarante ans d’expérience de production décentralisée, arrive encore à faire des erreurs d’industrialisation comme sur les débuts très difficiles de l’A380. Malheureusement pour les partenaires du F-35, il pouvait difficilement en être autrement, surtout avec un programme aussi complexe. 

Peu à peu les problèmes sont résorbés, mais avec des coûts qui explosent : d’après un officiel américain, selon les versions et en 2015, les prix d’achats projetés sont de cent quarante-huit millions de dollars pour le F-35A, deux cente cinquante-et-un millions pour la version B, et trois cent trente-seot millions pour le C. Mais ces chiffres sont à prendre avec de très grosses pincettes, puisque détracteurs et pro-F-35 mènent une guerre des chiffres sans merci qui n’a plus de sens, chacun ajoutant ou omettant volontairement des items indispensables pour présenter leurs chiffres sous un jour meilleur. Par exemple, la Norvège présente le prix d’achat de ses F-35 à quantre-vingt-dix-huit millions de dollars, bien moins que le chiffre officiel de l’USAF … il y a pourtant peu de chance que ce partenaire ait bénéficié d’un tel rabais … l’explication la plus plausible serait que la Norvège donne les prix sans les moteurs (ce qui est une pratique commune en aéronautique), tels qu’ils ont été prévus en 2006 tandis que l’USAF liste les prix avec les moteurs et un lot de maintenance initiale. A contrario, les prix évoqués par les Pays-Bas lors de leur dernière commande sont quant à eux en accord avec les prix indiqués par l’USAF.

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On est donc très loin des coûts prévus, et surtout, les différents payeurs commencent à perdre patience. Depuis la crise économique de 2008, aucun des pays n’a les moyens de supporter les surcoûts du programme. Beaucoup ont annoncé des réductions de commande, aux premiers rangs desquels l’Italie, pourtant partenaire majeur, comptant une ligne de production à domicile, passant de cent trente-et-un à quatre-vingt-dix avions commandés. La Hollande quant à elle a réduit ses intentions de commande de quatre-vingt-cinq à trente-sept exemplaires. 

Ce phénomène est connu : face à l’augmentation du prix initial, les clients préfèrent réduire leur commande. Mais les industriels, eux, doivent être payés par rapport à leur investissement ; la hausse est donc partiellement répercutée sur les autres clients, entraînant une spirale de hausse des coûts dont il est très difficile de sortir. Mais toutes les compensations font l’objet de très âpres négociations, avion par avion, client par client, négociations qui restent bien entendues ultra secrètes, pour qu’un client n’ait pas la sensation de se faire blouser par un autre. Ajoutez à cela une rotation rapide des responsables politiques de chaque pays qui pensent tous avoir "LA" solution, et vous avez une idée de l’immense bourbier qu’est le programme. Après tout, depuis les premières études, le F-35 a connu trois – bientôt quatre – présidents aux Etats-Unis.

Lockheed-Martin essaie de rattraper son retard en poussant ses partenaires à proposer des améliorations et des réductions de coûts. L’édition 2016 du Salon de Farnborough a permis à Lockheed Martin d’annoncer environ un milliard de dollars de gains de productivité au travers des micro-améliorations des processus industriels, et a annoncé travailler sur cent quatre-vingt-dix-huit autres propositions. Une goutte d’eau diluée dans le coût total du programme, mais cela représente tout de même quasiment un quart du coût de la commande néerlandaise.

 

3. Livraison et mise en service

On l’a vu, le programme F-35 est d’une complexité industrielle inédite. Mais que vaut cet avion, que vaut-il aujourd’hui au combat ? On voit apparaître des rapports poussés par les pros ou les détracteurs, qui pointent telle ou telle faiblesse, telle ou telle supériorité.

La réponse, chers lecteurs, est très simple. Aujourd’hui, PERSONNE n’est en mesure de dire ce que vaut vraiment le F-35 au combat, et cela, pour plusieurs raisons.

Premièrement, les avions livrés ne sont quasiment que des coques nues. Ils sont très peu capables, peu d’armements ont été validés, beaucoup de lignes de codes restent à écrire pour que les divers systèmes soient pleinement opérationnels tels qu’ils ont été imaginés par les concepteurs. L’avion est à peine mis en service au sein de l’USAF dans des escadrons de transformation et les premiers exemplaires européens sont tous justes sortis de chaîne. Ils ne sont donc absolument pas représentatifs de ce que sera l’avion une fois dans sa dernière version.

Deuxièmement, sans la panoplie complète d’armement, l’entraînement des pilotes reste limité. Ils commencent à peine à faire des vols complexes, incluant plusieurs aéronefs. Jusqu’ici, les scénarios dans lesquels le F-35 est donné grand vainqueur lui sont toujours favorables et n’ont aucun sens de la réalité. Dernier exemple en date, le premier pilote norvégien sur F-35 a très récemment apporté ses premières impressions sur des simulacres de combats contre des A-4 Skyhawk. Sans surprises, il annonce la supériorité du F-35 sur les A-4. A expérience équivalente entre les pilotes Aggressor et la sienne, c’est encore bien heureux ! Même si les scénarios impliquaient au maximum deux fois plus de A-4 que de F-35, il est évident que n’importe quel chasseur capable d’engager un autre aéronef en "BVR" (Beyond Visual Range, c’est-à-dire avec des missiles longue portée tels que l’AMRAAM ou les MICA) sera en mesure d’abattre un aéronef sans cette capacité même s’il emporte des pods de brouillage ou quelques améliorations.

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Troisièmement, à notre sens, le responsable principal de ce fiasco, c’est surtout la communication effectuée par Lockheed-Martin. Il y a tellement de surcoûts et de retards que Lockheed-Martin est dans une logique d’obligation de résultats. Chaque micro-événement est présenté comme une avancée majeure. Suivant cette logique, la visite des F-35 en Europe, présenté comme l’avion qui révolutionne la défense européenne, occulte quelque peu le fait que ces avions ne sont pas encore prêts au combat. Reste que si Lockheed et Martin avaient osé présenter une telle facture, annoncer un avion à un stade aussi peu avancé comme étant fini dans les années 60 en pleine guerre froide, leurs dirigeants seraient probablement passé en conseil de guerre pour haute trahison …

Quatrièmement, des plus simples : n’importe quel système ne peut pas être désigné comme étant le meilleur ou le pire tant qu’il n’a pas réellement connu le combat. C’est à peine le cas pour le F-22, et cela ne le sera pas avant de longues années avec le F-35. Le Royaume-Uni, qui sera le premier pays européen à mettre en œuvre un escadron complet de F-35, ne s’attend pas à le déclarer opérationnel au mieux avant 2018. D’ici à ce qu’ils le mettent en service dans un conflit où le F-35 fera vraiment la différence, il y a un fossé énorme. Et il n’est pas certain que l’USAF fasse mieux d’ici là.

 

Conclusion

f35 Alors, ce F-35, un fiasco politico-industriel ? Le meilleur ? Le pire ? Comme vous l’avez certainement compris, on ne peut répondre précisément à cette question. Les partenaires du programme, sont dans un dilemme du prisonnier faussé : si l’un d’eux se désiste, ils tombent tous. Sur le papier, même si les économies d’échelle ne se réaliseront pas autant que prévu, et à l’exception de l’annonce du remplacement du A-10 par le F-35 (comment une telle possibilité a-t-elle pu ne serait-ce qu’être émise ?) le F-35 sera probablement un des meilleurs avions d’attaque au sol de sa génération. Malgré les coûts qui entament les fonds propres, malgré les politiques qui faussent le jeu, malgré les besoins très différents des armées, malgré l’immense défi technique ; tous les partenaires, quelle que soit leur nature, ne peuvent plus se permettre de laisser tomber le F-35. Le bébé sortira, c’est certain, costaud, furtif, létal, mais il sortira dans la douleur.

 

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