Actualité aéronautique

Fatalité et mauvais choix - Partie 2

Article publié le 30 décembre 2009 par Patrick Layrisse, alias eolien777

Dans ce deuxième épisode, le DC-3 se dirige vers Agadir où un sérieux problème attend nos protagonistes.

Résumé du premier épisode:

Patrick doit convoyer un vieux DC-3 de Mauritanie à Paris à la demande d'un ami. Il a trois jours pour le faire. Après quelques râtés au départ à Nouakchott, l'avion part enfin sans heurts majeurs. En route, n'étant pas totalement rassuré sur le niveau en carburant, le pilote hésite entre un atterrissage aux Canaries, proches, et Agadir, plus loin. Patrick choisit finalement Agadir; ce qu'il va regretter.

Fatalité et mauvais choix - Partie 1

Fatalité et mauvais choix - Partie 3 (et fin)

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Partie 2

Enfin nous commençâmes à observer les premiers balbutiements de l'aiguille VOR, puis lorsque nous fûmes en contact radio nous pûmes lancer notre premier appel.
Brouillard ... Quoi ?!... du brouillard, à Agadir ?!...

Le contrôleur confirma son premier message, il y avait à peine 400 mètres de visibilité. Rien à dire : c'était ma faute, car c'était bien dans la prévision météo : Tempo Fog ! Mais je n'y avais pas porté une attention suffisante... et puis on allait à Casa, pas à Agadir ! Oui mais voilà, les Dieux en avaient décidé autrement...
Le temps de se remettre de cette mauvaise nouvelle et on approchait du point de décision : se poser ou dérouter non pas vers Casa mais vers Marrakech...

Je l'ai dit, j'avais été formé à une rude école où nous ne respections aucune règle, aussi ce ne sont pas des considérations réglementaires qui freinèrent mon analyse, mais cette incertitude sur la quantité d'essence restant à bord, car une fuite était une option toujours possible, et je décidai d'atterrir à Agadir. On n'avait aucune idée de la quantité exacte d'essence restant à bord... et puis une approche ILS et un atterrissage par mauvaise visibilité m'inquiétait beaucoup moins que le survol de l'Atlas avec ce problème de carburant. Je m'étais déjà posé par temps de brouillard, avec des passagers à bord et en emplafonnant sans aucun scrupules les minimas supposés réglementaires.

Nous commençâmes donc la descente sur Agadir. On voyait très bien la couche de brouillard assez mince qui inondait la ville dont les lumières dessinaient un halo  au contour précis qui s'arrêtait très nettement à gauche, délimitant clairement la côte Atlantique. Plus au nord s'élevait la masse sombre et impressionnante de l'Atlas, dont les sommets étaient couverts de neige que la lune rendait phosphorescente en ce mois de février 1978. 
On fut autorisé à descendre pour une approche ILS.
Après le ralliement sur la balise radio compas, je virai vers les axes de l'ILS, à l'altitude de 2000 pieds, mais les aiguilles du LOC et du Glide restèrent flaguées de leur petit drapeau rouge ! On prévint le contrôle qui nous confirma le bon fonctionnement de leur ILS. Notre récepteur ILS était en panne !
Instantanément j'en mesurai les conséquences catastrophiques. On ne pouvait plus se poser à Agadir, Casablanca était hors de portée,... ne restait que Marrakech...
Cela voulait dire remonter à la verticale d'Agadir jusqu'à atteindre l'altitude de sécurité pour traverser l'Atlas... soit 14 000 pieds !...
Avec un avion dont un des moteurs consommait affreusement plus d'essence que la normale, et des jauges qui ne permettaient pas de se faire la moindre idée sur le carburant restant.
Que faire d'autre ? J'engageai la remise de gaz et poussai les manettes vers l'avant. Sur DC3 les aiguilles de pression d'huile suivent le mouvement des manettes des gaz. Si on réduit la puissance les aiguilles tournent vers la gauche, vers l'arc jaune puis en arrivant dans la zone rouge un voyant rouge s'allume car à partir de là le moteur n'est plus alimenté en huile.... On éteint ce voyant en avançant légèrement les manettes pour rester à la limite de pression d'huile minimale acceptable pour ces moteurs.

Douglas DC-3

Mais au moment où les moteurs reprirent leur régime, l'aiguille du moteur gauche traîna un peu puis flancha. Je lâchai la manette gauche et mis la puissance de montée sur le moteur droit, celui dont la consommation était abracadabrantesque ! Si j'avançais la manette gauche la pression d'huile diminuait. On entama ainsi la montée, le moteur droit à son régime de montée, le gauche à demi-puissance...
J'appelai le contrôle :
"Charlie Uniform en remise de gaz. Nous avons des problèmes avec un moteur et nous ne pourrons pas monter à 14000 pieds. Sur un moteur le maximum que nous pourrons atteindre est 6 000 pieds. Pouvez-vous nous trouver une route qui permette de traverser l'Atlas à 6000 pieds maximum."
"Standby, standby, je vous rappelle..."
 
Et nous avons poursuivi la montée dans la nuit claire. Nous tournions en larges cercles verticale d'Agadir et à chaque passage, nous longions la masse sombre et froide de l'Atlas qui nous dominait. Nous apercevions tout là-haut les sommets coiffés de neige blanche, comme des gardiens vigilants surveillant cette barrière soudain devenue infranchissable.
Le contrôle nous a rappelés :
"Charlie Uniform ici Agadir... altitude de sécurité pour traverser l'Atlas 14 000 pieds"
"Agadir, Charlie Uniform  ! Je le sais ! Ce que je vous demande c'est de nous trouver une route qui traverse à 6 000 pieds. Nous sommes en situation d'urgence. Nous sommes en panne d'un moteur, nous n'avons pas assez de carburant pour rejoindre Casa. Nous ne pouvons pas nous poser ici et devons dérouter à 6 000 pieds. Cherchez nous une route car nous n'avons pas de carte topo de la région."
"Charlie Uniform  Standby, standby..."

Et nous tournions dans la nuit... le vario était calamiteux. Il faut préciser qu'en soute il y avait un moteur sur son bâti, et des tas de pièces et de matériels achetés avec l'avion. L'avion était lourdement chargé mais dans tous les cas, même avec ses deux moteurs, un DC3 ça ne grimpe pas aux arbres. Mais une chose est sûre : dans tous les cas, peu ou prou, ça monte ! Mais là, le vario battait des records de faiblesse. Il semble me souvenir de 2 ou 300 pieds par minute ... A ce train, pour monter à 6 000 pieds on en avait pour vingt minutes...
Agadir nous appelle, l'espoir renaît :
"Charlie Uniform  Altitude de sécurité mini 14 000 pieds."
Et je ré-explique au Marocain qui répond, imperturbable :
"Charlie Uniform , Standby, standby..."

Douglas DC-3

On tournait dans la nuit claire, on montait, lentement, très lentement, et on attendait une solution miracle du contrôleur car pour ma part je ne voyais pas d'issue à notre situation... Il est deux choses qui m'inquiétaient : A tourner ainsi plein gaz sur le moteur droit on consommait énormément d'essence... et la pression d'huile du moteur gauche n'en finissait pas de s'affaiblir... dès que le voyant rouge s'allumait, j'avançais d'un soupçon la manette gauche pour l'éteindre, mais quart de pouce après quart de pouce, la poussée diminuait ce qui aggravait nos médiocres performances de montée.
Et l'autre zouave, au contrôle, qui se planquait derrière son manuel et qui refusait d'oser sortir de sa routine pour improviser et nous aider à sauver notre peau... Car c'est à présent bien de cela qu'il s'agissait. Que faire pour sortir du piège où je nous avais enfermés ? Si, comme cela avait l'air de se présenter, aucune aide ne nous était apportée, nous serions dans une impasse...
L'angoisse monta d'un cran dans le cockpit, rythmée par l'allumage intermittent du voyant de pression d'huile. Mes deux compagnons ne pipaient mot : ils comptaient sur moi ! Ils ignoraient tout du DC3, de ses caractéristiques, de ses performances, de ses possibilités. C'était un avion magique, mythique. Ils étaient certes inquiets, mais ne le manifestaient pas.

J'ai pris une décision, je ferais tout mon possible pour ne pas couper le moteur gauche. Un des pilotes de la compagnie où je volais m'avait un jour montré le rapport du crash d'un DC3 qui s'était planté parce que lors d'un arrêt moteur, l'hélice n'était pas passée correctement en drapeau. J'avais gardé ça en mémoire et durant ces tours d'attente au dessus d'Agadir cette histoire m'était revenue à l'esprit. Vu l'état de délabrement de cet avion s'il est une chose que j'appréhendais soudain c'était un arrêt moteur avec un régulateur d'hélice récalcitrant. Il ne manquerait plus que ça ! Ce serait le crash immédiat... Ma décision était prise, je n'arrêterai pas le moteur, ou alors uniquement s'il rendait son âme au diable.
Une idée me vint : j'avais lu le récit d'un DC3 tombé en panne électrique totale sur l'Angleterre. Le Captain était parti cap au Sud et lorsqu'il s'était estimé sur la Manche, il était descendu, et une fois sorti sous la couche, au dessus de l'eau il avait viré cap à l'est jusqu'à la côte normande. Il avait réussi un atterrissage de fortune au ras de la plage et les passagers avaient pu gagner à pied le sable sec... j'envisageai cette solution car on voyait très nettement la silhouette de la rive sous le brouillard peu épais... Mais je devinai qu'en descendant à tâtons dans le brouillard, il était plus que probable que nous percuterions l'eau dans une dernière superbe éclaboussure. J'abandonnai cette idée. Le stress monta d'un cran. Que faire, où aller, quelle décision prendre ?
Alors que j'expliquais pour la énième fois la gravité de notre situation au contrôleur, une voix intervint sur les ondes.
"Charlie Uniform de Royal Air Maroc, nous avons écouté vos messages, nous sommes une Caravelle en attente au niveau 200, est-ce que l'on peut faire quelque chose pour vous ? "
 
Je récapitulai notre situation et lui demandai s'il connaissait une route qui traversait l'Atlas à 6 000 ft maximum.
"Je regarde dans notre doc et je vous rappelle."
Quelques instants plus tard il nous donna la solution :
"D'après notre carte du coin, si vous suivez  le radial 010 du VOR d'Agadir jusqu'à intercepter le radial 260 de celui de Marrakech, à 6 000 pieds ça doit passer..." (J'ai oublié les valeurs exactes mais ceux-là me paraissent cohérent avec le relief).

Carte des environs d'Agadir

Je n'en demandai pas plus et le remerciai.

Sans hésiter, je fis virer le DC3 à un cap vers le Nord pour aller rechercher le radial 010. Nous avions dépassé 5 000 pieds en montée et dans la masse sombre de la montagne, effectivement, on devinait une faille. J'ai toujours eu de mauvais yeux. Un tantinet myope le jour, je suis loin d'être une chouette la nuit. Je baissai les éclairages à l'intérieur du cockpit à leur minimum et, résolument, je nous engageai, toujours en montée et approchant les 6 000 pieds dans cette rupture de la masse rocheuse.  A cheval sur le radial du VOR d'Agadir, nous étions enfin établis à 6 000 pieds et nous nous enfoncions dans cette gorge obscure, le moteur droit toujours à sa puissance de montée, le gauche à présent quasi réduit, essayant de le maintenir en traction positive ou nulle, le voyant rouge de la pression d'huile irrémédiablement allumé.

A gauche une montagne de roche noire, à droite une montagne de rochers noirs ...
Très vite, à cause du relief, de notre faible altitude et sûrement des piètres qualités du récepteur embarqué, nous avons perdu la réception de la balise d'Agadir. Mais avec ce brouillard au sol et à l'abri dans les montagnes il n'y avait pratiquement pas de vent et je continuais au cap.

Tout à coup, je vis une masse grisée en face de moi, je me penchai, le nez contre le pare-brise et devinai sur ma gauche un mur noir, hostile et menaçant. Je balançai le DC3 sur la droite et évitai ce pic partiellement enneigé... mais en partant vers la droite je perdis quelques instants la route que l'on devait suivre et vis au bout de quelques trop courtes secondes un mamelon blanchâtre nous barrer la route. Je virai à gauche puis, l'obstacle évité, de nouveau à droite. J'étais penché en avant, comme si cette attitude en gagnant quelques centimètres avait pu compenser ma vision trop peu performante. Je jetais de temps à autre un œil dans le cockpit à peine éclairé d'une faible lumière rosée, au badin, aux instruments moteurs, à l'altitude et au cap que je suivais de loin, de plus en plus approximativement... Et, surtout je regardais dehors... les choses se dégradèrent, car à force de virer d'un côté puis de l'autre j'avais dû dériver. Tant qu'il s'agissait de sommets enneigés, cela allait, je les voyais suffisamment tôt. Mais tout à coup je vis surgir une masse sombre. Dans la nuit, je ne l'avais pas distinguée et nous nous précipitions dessus ! Je l'évitai in extremis d'un balancement d'aile. A cet instant le moteur droit toussa et eut un énorme raté. Je lâchai les manettes de gaz, me penchai à droite, attrapai dans l'obscurité le sélecteur carburant et, au jugé, à tâtons, je le branchai sur le réservoir avant gauche, puis, dans le même mouvement, je mis la pompe  à essence en marche... le moteur reprit instantanément. Je me demande si on perdit un nœud ou un seul pied tellement je fis vite et tant cet avion est incomparable. Et c'est un fait prouvé, le stress améliore les performances. C'est une chose que l'on enseigne aujourd'hui dans les stages de pilotes, la courbe de performance croit avec la courbe de stress... jusqu'à un certain point où elle s'effondre !…

Les deux moteurs étaient désormais alimentés par le même réservoir, l'avant gauche, les trois autres réservoirs ayant été asséchés ! Je jetai un œil dans le cockpit pour dire à Guy de m'aider, espérant de ses yeux des performances nocturnes meilleures que les miennes. Mais mon copilote de fortune était dans un tel état que je compris que je n'avais aucun soutien à espérer. Paradoxalement, cela me regonfla. Je me suis dit :
"A présent tu es tout seul ! Il n'y a que toi pour nous sortir de là ..."
La radio crachota :
"Charlie Uniform ici Royal Air Maroc... toujours là ?"
"Ca va... ça tient ..."

Ils ne pouvaient plus rien pour moi mais curieusement je trouvais un réconfort certain dans la présence de ces collègues. Ils me dirent qu'ils patientaient avant de dérouter vers Casa et resteraient à l'écoute jusqu'à ce que j'aie atterri à Marrakech.

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