Actualité aéronautique

Fatalité et mauvais choix - Partie 1

Article publié le 24 décembre 2009 par Patrick Layrisse, alias eolien777

Pour cette fin d'année, AeroWeb vous livre le premier épisode du récit passionnant de Patrick Layrisse, alias eolien777 : le convoyage d'un DC-3 de Mauritanie à Paris !

Les membres du forum d'AeroWeb ont pu lire les récits d'eolien777 dans la section "Tout et Rien". Dans le sujet qu'il a créé "Les Français et le système D", il nous racontait les différences culturelles entre Français et Allemands lorsqu'il travaillait pour Airbus en tant que pilote de Super Guppy.

A la demande de nombreux passionnés et de l'ensemble de la rédaction d'AeroWeb, il a accepté de nous offrir un récit passionnant à bord d'un DC3 qu'il devait convoyer.

Pour les fêtes, nous avons donc décidé de le publier en première page pour que cette histoire puisse être lue par le plus grand nombre, tellement elle nous a fait vibrer. Nous espérons donc que vous l'apprécierez autant que nous.

Par souci de lisibilité, nous avons divisé le récit en quatre morceaux que nous publierons chaque semaine.

Surtout, n'hésitez pas à nous laisser vos commentaires ! Nous vous souhaitons donc une bonne lecture et de joyeuses fêtes en notre compagnie !

David Barrie, rédacteur en chef d'AeroWeb-fr.net

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Fatalité et mauvais choix...

L'après midi tirait à sa fin et le soleil tombait doucement sur l'horizon, loin derrière quelques nuages épars égarés sur l'océan. Les deux moteurs Pratt et Whitney ronronnaient de concert, et leur vacarme assourdissant ne parvenait pas à éteindre cette sourde inquiétude qui, insidieusement, rongeait mon esprit depuis de longues minutes... depuis cet instant où j'avais, après avoir hésité, rejeté la décision d'atterrir à La Ayoune.

En survolant la piste à environ douze mille pieds d'altitude, j'avais été tenté d'y faire halte pour la nuit, mais quelques jours auparavant des rebelles du Polisario avaient tiré des rafales de Kalachnikov sur un avion en approche, et sans conviction, j'avais écarté ce choix et maintenu le DC3 cap au nord vers Casablanca. Une heure était passée, la nuit approchait, et quelque part dans mon esprit un petit rien, une pensée ténue, un léger nuage de doute, presque de reproche, allait et venait tout au fond de mes pensées. J'avais une confiance sans faille pour le DC3, extraordinaire avion dont l'exemplaire que je pilotais vers Paris ronronnait sa chanson sans une fausse note. Guy, le copilote de fortune admirait le paysage et assis sur le jumpseat, Mr B., le nouveau et très récent propriétaire de l'avion rêvassait au devenir de sa nouvelle acquisition. Donc tout allait bien... L'avion survolait une couche très basse de stratocumulus et nous naviguions au cap et à l'estime, certains de rallier plus tard la balise de Sidi Ifni, puis le puissant VOR d'Agadir.

La nuit était tombée, et le vol se déroulait normalement... pourquoi donc avais-je, cachée tout au fond de moi, cette toute petite lumière rouge qui clignotait ?

La lune éclairait la nuit, les étoiles scintillaient, les moteurs ronflaient, les longues ailes fendaient l'air frais du Sahara quand brutalement le moteur droit toussa et s'arrêta dans une suite de monstrueuses pétarades...

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J'étais agent d'opérations au bureau de la préparation des vols de la compagnie UTA. Recruté comme pilote, une grève des Commandants de bord qui protestaient contre une limitation des salaires avait mis un arrêt brutal au stage de copilote DC8  pas encore réellement entamé. Je me morfondais et méditais sur les infortunes de la vie quand le téléphone sonna :

Guy R., un copain de promo à l'ENAC, me salua : "Tu étais commandant de bord sur DC-3, alors j'ai quelque chose à te proposer... un ami à moi, disons une connaissance, a acheté un DC3 en Mauritanie et il m'a chargé de le rapatrier au Bourget. Bon, moi, je n'ai pas la qualification et mon ami ne veut pas m'en payer une car il affirme que cette affaire est tirée par les cheveux au plan financier et qu'il doit minimiser ses frais au maximum. Voilà ce que je te propose : tu étais instructeur..."
"En aéro-club, pour pilotes privés..." avançai-je prudemment.
"Ouais... tu étais instructeur. Donc, on part à Nouakchott, tu me briffes rapidos sur le DC-3, tu me fais une qualification pour le principe, tu vois ce que je veux dire ..., et on le ramène ! La prime c'est 3000 pour toi, 2000 pour moi ! Sinon il ira s'adresser ailleurs !".

J'étais dans une situation professionnelle délicate... Il me fallait d'urgence des heures de vol pour maintenir à flot ma licence Pilote Professionnel de 1ère classe, ce que mon emploi au sol ne me permettait pas de me payer. J'étais aux abois et cette affaire tombait à point... Restaient à régler les problèmes réglementaires ! Je sortais de trois années de vie professionnelle dans une petite compagnie du Sud-Ouest où, le couteau sous la gorge, on faisait n'importe quoi, ne respectant ni les règles de l'air, ni les règles du travail, dans une activité sans foi ni loi... Cette expérience, plus la pression sur ma licence firent que je donnai mon accord. Dans la situation où je me trouvais, délivrer une qualification de fortune, même complètement bidon, ne me posait alors aucun état d'âme. Et piloter seul le DC-3 ne m'inquiétait nullement, ayant été Commandant de bord sur cet avion dans des conditions parfois plus que marginales...

Dans l'attente de la reprise du stage DC8, nous avions négocié de pouvoir effectuer des vols occasionnellement afin de pouvoir maintenir à flot la validité de nos licences. Ainsi, j'avais eu l'occasion d'effectuer quelques vols,  et bien que ce n'ait été que très occasionnel, nos collègues agents d'exploitation commençaient à voir d'un mauvais œil ce privilège de pouvoir quitter le poste pour satisfaire une activité externe.

Je réussis à négocier 3 jours de congés, pas plus, on se fit faire deux billets pour Nouakchott et en voiture pour l'aventure. C'était du gâteau... un jour pour aller, deux pour rentrer... quelques heures à regarder le sable du Sahara, puis à partir du Maroc, la routine. J'avais passé tellement de nuits à faire des courriers sur l'Afrique du nord, le DC-3 bourré de 40 000 poussins d'un jour ou d'autre matériel ! La routine je vous dis !

En fait de routine j'allais être servi !

Douglas DC-3

D'abord l'acheteur, Mr B., perdit beaucoup de temps à Nouakchott à remplir les paperasses car les autorités locales firent du zèle, comme il se doit dans tout pays modèle... Et au lieu de décoller le matin du deuxième jour, on ne fut libre de partir qu'à midi. Déjà, notre projet de survoler le Sahara de jour était plus que compromis...

Pendant que l'acheteur se démenait avec les fonctionnaires mauritaniens et balançait les "pourboires" dans des mains avides, je prenais connaissance de l'avion, le Douglas DC-3 immatriculé F-BCYU.

FoxTrot – Bravo Yankee Charlie Uniform !

Sa cellule était en très bon état, l'air sec du Sahara lui ayant évité la corrosion. Quant aux moteurs, je préférais demander l'avis des spécialistes. Les mécaniciens de l'UTA qui avaient en charge l'entretien m'assurèrent que l'avion était en bon état, jurant qu'ils le faisaient tourner toutes les semaines.

J'étais de la maison, je leur ai fait confiance...

Enfin ce fut le départ. Il avait été prévu un vol local pour vérifier l'état de l'avion mais le retard pris me fit changer le programme et il fut convenu que le vol de Nouakchott à Nouadhibou serait mis à profit pour ce contrôle, et que si tout allait bien on préviendrait par radio et filerions directement sur Nouadhibou.

Douglas DC-3

"Contact"

Signes conventionnels de la main et démarreur... Les moteurs démarrèrent l'un après l'autre, dans leur pétarade naturelle, avec fumées et explosions, puis sitôt au ralenti se mirent à tourner avec une belle régularité.

La mise en route enfin terminée, check-list effectuée, frein de parc relâché,  on a roulé... dix centimètres et le DC-3 s'est arrêté brutalement. Surpris je regardai autour de moi et je vis les mécanos d'UTA qui me faisaient signe, les bras en croix au-dessus de la tête. Les disques de freins avaient cassé, avec fuite hydraulique. C'était le premier indice des Dieux, mais je n'avais pas su le reconnaître et l'interpréter...

Une paire d'heures plus tard nous décollions pour un petit vol sans histoire vers Nouadhibou où une mauvaise nouvelle nous attendait : les Jaguars français qui assuraient des missions contre le Polisario étaient au ravitaillement et leur priorité ne nous permettait d'envisager le décollage qu'en fin d'après midi. Je fus tenté de repousser le départ au lendemain mais ça ne laissait qu'un seul jour pour rejoindre Paris. A 150 nœuds de vitesse de croisière, c'était trop juste. Et j'étais pressé, je m‘étais engagé à respecter ce créneau de 3 jours, pas un de plus. D'autre part j'avais piloté des DC-3 dans des conditions environnementales adverses et, après tout, un survol de nuit du Sahara par conditions météorologiques idéales ne me faisait pas peur.

On décolla donc de Nouadhibou en fin d'après-midi, cap au Nord, destination Casablanca. Très vite on perdit le contact avec la seule VHF dont cet avion était équipé. Qu'à cela ne tienne, on va appeler en HF ! Nous ne pûmes, ou ne sûmes établir aucune liaison radio... Et très vite on perdit l'ADF et le VOR dont les portées donnaient à penser à une fâcheuse crise d'anémie. Bof ! Après tout, pourquoi s'inquiéter ? A quoi servent ces moyens radio à 10 000 pieds sur le désert; seulement à se rassurer  puisqu'il avait été décidé que nous remonterions en suivant la côte Atlantique jusqu'à Agadir...

Nous nous établîmes en croisière à 12 000 pieds, sachant pour l'avoir fait maintes fois que l'on pouvait voler plusieurs heures sans oxygène à 14 000 pieds sans problèmes.

Nous suivions la côte, navigation on ne peut plus simple... il n'y avait plus qu'à attendre ! Il y avait juste un petit quelque chose qui me gênait, mais je ne savais pas quoi...

Nous suivions une route prestigieuse, balisée de noms glorieux et romantiquement évocateurs... Villa Cisnéros, La Ayoune, Cap Juby...

La nuit était tombée et nous suivions la frange d'écume blanche qui balisait la côte, traçant pour nous une route quasiment droite dans la nuit claire. Des nuages apparurent, interrompant quelques instants le fil blanc que nous suivions. La côte réapparut peu après, puis disparut à nouveau, au gré des bancs de nuages. Finalement une couche de stratus nous masqua définitivement le paysage. Nous avions eu tout le loisir de calculer la dérive et le vent et nous pouvions continuer au cap, et à la montre.

Tout allait bien et pourtant je ressentais confusément un petit malaise...

Dès les premiers ratés du moteur droit, j'ai réagi à l'instinct, bondissant sur le sélecteur carburant droit et le tournai pour sélectionner le réservoir avant, mis la pompe carburant en route et aussitôt le moteur reprit son agréable chanson.

Il faut savoir que sur tous les Douglas DC-3 sur lesquels j'ai volé les jauges étaient fausses, complètement inutilisables. Les anciens avaient trouvé une parade : on décollait sur les réservoirs avant jusqu'à être en croisière,  et une fois établis, on sélectionnait les réservoirs arrières, on notait l'heure, et, quatre heures plus tard les moteurs s'arrêtaient ! On passait sur les réservoirs avant et ces formidables engins reprenaient leur régime. Il suffisait de lire l'heure pour contrôler la consommation... Normalement cela marchait à tous les coups.

A tous les coups sauf lors de cette nuit... car cela faisait à peine deux heures et demi que les moteurs étaient alimentés par les réservoirs arrières. Il y avait deux hypothèses : soit une fuite de carburant, ou bien, plus probable, un dérèglement du correcteur altimétrique automatique du carburateur. Quoiqu'il en soit notre autonomie de huit heures venait d'un seul coup de tomber à cinq heures sur le moteur droit.

Que faire, où aller ?

Trop tard pour rebrousser chemin, il n'y avait qu'une solution, continuer, non plus vers Casablanca devenu inaccessible mais vers Agadir.

Quelques minutes plus tard nous aperçûmes au loin dans le nord ouest les lumières des Canaries. J'étais très tenté d'aller s'y dérouter mais plusieurs choses m'en dissuadèrent car ma situation était plus que confuse : d'abord je n'avais qu'une documentation de fortune des plus réduite, et rien, absolument rien sur les aéroports de l'archipel espagnol, d'autre part je n'avais pas de copilote qualifié... En cas de contrôle, le voyage s'arrêterait là ! Et sans billets d'avion pour rentrer ! Donc après avoir hésité, pesé le pour et le contre je décidai de poursuivre le vol. Après tout Agadir n'était plus très loin et je me voyais mal arriver de nuit à Fuertaventura, sans cartes d'approche, sans fréquence radio, sans aucune documentation !...

Lorsque le moteur gauche toussa à son tour et commença à s'arrêter, je sautai sur le sélecteur carburant correspondant que je positionnai sur le réservoir arrière et le moulin redémarra spontanément. Cela faisait quatre heures que nous volions, ce qui validait la parfaite consommation de ce moteur.

Rassuré sur ce point, les calculs réactualisés confirmèrent que nous pouvions rejoindre Agadir sans problème. Je décidai de continuer et éliminai définitivement l'option Canaries.

Je ne pouvais deviner combien j'allais regretter ce choix...

Vous pouvez lire la suite en cliquant sur : Fatalité et mauvais choix - Partie 2 et Fatalité et mauvais choix - Partie 3 (et fin)

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