Le Blackbird est un avion taillé pour la vitesse et l'altitude. Utilisés à partir de 1967 principalement dans des missions de reconnaissance à haute altitude, et volant pour la dernière fois en 1999, le A-12, puis le SR-71 étaient et restent encore, plus de 40 ans après leur premier vol, sans équivalent dans le monde. Leur vitesse et leur altitude leur permettait de survoler, impunément, la plupart des pays en limitant les risques d'interception. Même le MiG-25 ou le MiG-31, intercepteurs soviétiques les plus rapides, lui rendaient quelques dixièmes de Mach.
Le Blackbird est le successeur du Lockheed U-2, un avion de reconnaissance à très haute altitude, reconnaissable à ses ailes droites démesurément longues. Le U-2 avait beau voler haut, très haut, il n'était pas invulnérable, comme le prouvera en 1960 (quatre ans après la mise en service de l'appareil) la capture de Gary Powers, qui pilotait un U-2 en mission d'espionnage au-dessus de l'URSS. Des alternatives à l'U-2 furent recherchées dès 1960, et le Lockheed Blackbird fut choisi. Non content de voler haut, le Blackbird volait plus vite que n'importe quel appareil piloté de l'époque.
Les formes du Blackbird sont reconnaissables entre toutes. Un long fuselage noir, d'immenses apex de voilure allant jusqu'au nez de l'appareil, une aile delta, deux immenses réacteurs disposés au beau milieu de chaque demi-aile, surmontés de deux petites dérives inclinées vers l'intérieur... Aux hautes vitesses auxquelles volent les Blackbird, la chaleur dûe aux frottements de l'air contre la cellule se compte en centaines de degrés Celsius, températures auxquelles les alliages d'aluminium classiques ont déjà commencé à fondre. C'est pourquoi la structure de l'appareil est à 85 % composée de titane, matériau utilisé habituellement avec grande parcimonie dans les avions à cause de son coût exorbitant et de la difficulté à le travailler. Lockheed dut ainsi réinventer une bonne partie de ses procédés de fabrication.
La chaleur tend à faire s'allonger la plupart des matériaux, et si le titane est moins sujet à cela que l'aluminium, l'effet est non négligeable pour le Blackbird. Les panneaux de la peau du SR-71 sont ainsi grossièrement disjoints "à froid", et ne forment un compartiment étanche pour le carburant qu'une fois à température de croisière... Les Blackbird au sol transpiraient donc leur carburant spécial JP-7 (eux seuls l'utilisaient) par tous leurs pores, et devaient après décollage faire une petite pointe de vitesse, pour bien réassembler le tout, avant de passer au premier des nombreux ravitaillements en vol de la mission. Pour les mêmes raisons, les panneaux intérieurs de l'aile sont en tôle légèrement ondulée, pour éviter leur vrillage avec la chaleur... raison valable, qui n'empêcha pas certains aérodynamiciens d'accuser les ingénieurs travaillant sur la structure d'essayer de produire une variante Mach 3 du Ford Trimoteur (connu pour son revêtement en tôle ondulée, comme le Junkers 52).
La propulsion des Blackbird est aussi, naturellement, un peu hors-norme. Chacun des deux réacteurs Pratt & Whitney J58 produisaient, à l'arrêt, 14.5 tonnes de poussée (l'équivalent, en gros, de la poussée du biréacteur Dassault Rafale en post-combustion), et était équipé d'un système de post-combustion conçu pour fonctionner en permanence (contre quelques dizaines de secondes à la fois pour la PC classique)... Les entrées d'air seules, conçues pour assurer un bon écoulement d'air aux moteurs depuis l'arrêt jusqu'à Mach 3+, ont cinq régimes de vol différents.
Le A-12 est le premier de la famille. Conçu pour la CIA, il est plus petit que son successeur le SR-71, et est supposé passer au-dessus de sa cible pour la photographier. Il fait son premier vol le 26 Avril 1962, et est produit jusqu'en Juin 1964. Le SR-71, arrivé en service quelques années plus tard (premier vol 22 Décembre 1964), qui le remplace totalement, est un peu plus gros, légèrement moins performant, biplace, et dispose de bien plus de capteurs (caméra longue portée et à focale élevée, radar à large balayage latéral) dans le nez ou les flancs du fuselage, ce qui lui permet de passer à grande distance de sa cible pour les mêmes résultats. La plupart des SR-71 sont des SR-71A, mais un unique SR-71B, biplace, pour l'entraînement, a été produit. Le F-12, une version d'interception, ne vit jamais le jour. Quelques SR-71 furent transférés à la NASA pour des tests.
Concurrencé par des satellites d'observation toujours plus précis et moins coûteux, le SR-71 sera retiré du service en 1989. Trois appareils seront réactivés de 1995 à 1998, puis définitivement retirés du service actif. Ses capacités ne sont pas vraiment remplacées par les satellites, mais l'apparition de drônes de haute (ou moyenne altitude) et longue endurance (High Altitude Long Endurance, HALE, ou MALE) tels que le Northrop-Grumman Global Hawk, contribue déjà à compléter les informations satellite.